• Meurtre dans le Grand Sud calédonien

    Il a une bonne tête et pourtant... 

    ...

    En attendant, nous comptons profiter pleinement du temps qu’il nous reste.
    C’est l’heure d’ailleurs d’aller vérifier si le lagon sud est effectivement le plus beau lagon du monde. Cela commence fort !
    En ce début d’octobre, une envie de meurtre me hante. La vingt-quatrième nuit des vingt-quatre jours de notre séjour à la marina, profitant de notre sommeil de plomb et de nos amarres accueillantes, un mammifère rongeur du genre Rattus, pénètre insidieusement notre logis. Etant donné notre grande expérience, rappelez-vous au Honduras, nous disposons immédiatement des granulés anticoagulants.
    Au mouillage de l’île d’Ouen, nous décidons d’appliquer la loi du lalplrfpc (Laissons agir le produit le rat finira par crever) et allons nous balader sur les terres ocre du Sud calédonien.
    Le lendemain, nous n’avons plus ni eau ni gaz. Nous déterminons assez vite la cause des pannes. Reste à localiser les endroits où Rattus a sauvagement attaqué nos tuyaux. Et à savoir si on peut et si on a de quoi réparer. On a et on sait. Le tout dure une journée.
    D’après la notice du poison, quatre ou cinq jours sont nécessaires pour que se produise l’hémorragie interne.

    En route pour l’îlot Mato, plus rien ne s’affiche sur les cadrans de navigation. L’endroit où les câbles de connexion sont rongés est à la limite de l’accessibilité et il nous faudra encore une demi-journée de positions de Kâma Sûtra, Sabine et moi dans la cale moteur, pour ressouder les fils. Nous prenons malgré tout le temps, en appliquant le lalplrfpc, d’escalader le sommet de Mato en évitant de marcher sur les nombreux tricots rayés. Là, je suis certain, vous vous dites, il décroche, le pauvre. Eh bien non, un tricot rayé est un petit serpent marin qui vit la plupart du temps sur terre. Les tricots rayés sont peu agressifs et craintifs. Cela tombe bien car son venin mortel est dix fois plus puissant que celui d’un cobra.

    Les fonds sous-marins sont superbes mais l’eau est très, très fraîche. Ivan n’en a cure ; il prend son pied, chaussé, en windsurf. Justement, le vent forcit du sud et nous allons nous mettre à l’abri dans la majestueuse et très protégée baie de Prony, considéré comme un excellent abri anticyclonique.

    Mais revenons à ce charmant rat qui représente une véritable calamité sur un bateau. Vous imaginez sans peine, moi avec de la peine, le réseau complexe de fils électriques et de tuyauteries d’un voilier moderne, dont la plupart sont inaccessibles à la corpulence humaine mais pas à l’agilité des rats.
    Au bout de la cinquième nuit, victoire pensons-nous, il n’a pas touché aux granulés donc il doit être mort. Reste à espérer que son cadavre ne repose pas hors de notre portée. En vidant les coffres arrière, c’est fou ce qu’il y a moyen d’entasser sur un bateau, on tombe dessus, frétillant comme une carpe. Les appâts devaient être périmés. Deux solutions : retour sur Nouméa et appel à une société de dératisation ou chasse au rongeur immédiate avec peu de moyens mais beaucoup de détermination. Allez hop, on dévisse tous les panneaux et supports des coffres. Ce faisant nous l’apercevons quelquefois mais il va se terrer de plus en plus loin, de plus en plus profond. Nous bouchons les aérations et vidons une bonbonne de spray spécial cafards, c’est tout ce qu’il y a en stock ! Une heure plus tard, le rongeur est un peu sonné mais ce n’est pas ça qui va le tuer. Je parviens à le pulvériser de face durant dix secondes, il est tout ébouriffé mais continue à détaler. Ivan a la machette, j’ai une flèche de fusil-harpon ; nous sommes habillés de pied en cap avec chaussures et gants et plongeons dans les coffres comme des cosmonautes.
    Sabine essaie de l’éblouir avec un gros projecteur. Nous clouons ou bouchons les différentes caches une à une afin de limiter son espace de manœuvre. Je parviens une première fois à le harponner, le rat crie de douleur mais la flèche glisse sur son corps flasque et il va se terrer dans un coin inaccessible à ma corpulence. C’est alors qu’entre en jeu Ivan le Terrible ! Il va harponner le rat et le tenir cloué contre la paroi, enlever et replanter la flèche durant de longues minutes pendant que le rat crie et essaie de mordre la flèche. Voilà c’est fini et ce n’est pas facile de tuer de cette manière, même un rat.

    Ivan est blême. Tout retourné. Mais avions-nous le choix ?

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